Balade sous contrôle
9h30, Aubervilliers-Pantin-4 Chemins. Alors qu’on part trouver de la thune, de quoi manger ou se promener, les flics sont au coin de la rue. Ils sont là, avec leurs armes et leurs sales gueules, comme hier, comme il y a une heure, comme tout le temps maintenant en fait, à harceler les vendeurs/ses à la sauvette, les pauvres en tout genre, à mater tout ce qui bouge de travers, prêt à tou-te-s nous contrôler et arrêter quelques sans papiers sur le chemin. Que l’on soit à Barbès/La-Goutte-d’Or, à la Gare de Saint-Denis, à Saint-Ouen où à Stalingrad, c’est la même chose. Depuis peu ces quartiers sont devenus des ZSP, “Zone de Sécurité Prioritaire”. Nouvelle invention sécuritaire du pouvoir, il en existe soixante-quatre dans tout le pays et concrètement ça signifie encore plus de flics dans les rues et une collaboration plus étroite entre mairies, commissariats et associations. À Belleville et Couronnes il y a aussi plein de flics partout, mais là ce sont ceux de la “Brigade Spécialisée de Terrain” (BST) créée en janvier 2011.
Et puis il y a aussi tous les autres que l’on ne remarque même plus : GPIS, sécurité de la Mairie de Paris, correspondants de nuit, militaires, etc. Avec tous ces uniformes, le pouvoir militarise les villes, et principalement les quartiers pauvres, pour faire régner la pacification sociale et que chacun-e d’entre-nous reste bien à sa place.
12h00, dans le métro. Changement à Stalingrad “contrôle des titres de transports !” Un barrage de contrôleurs fait face au flot des voyageurs qui fouillent frénétiquement leurs poches à la recherche du bout de plastique qui donne le droit de continuer son chemin tranquillement. Certain-e-s tentent de faire demi-tour, mais sont retenu-e-s par les gros bras de la ratp sureté (GPSR).
Dans chaque recoin ou derrière chaque caméra ils sont là, pour réguler et rentabiliser les flux, chasser les fraudeurs, surveiller et réprimer nos faits et déplacements. Et si en plus de pas avoir de ticket on n’a pas le “droit” d’être là (pas de papiers, recherché-e par la justice, sous contrôle judiciaire), la police n’est jamais bien loin pour t’emmener au commissariat.
Les transports en commun sont pensés et organisés en fonction de la nécessité pour l’économie et le pouvoir d’assurer le déplacement dans la ville. Ils ont pour fonction d’amener des gens de la maison au travail, de la CAF au magasin, etc. Les transports, que ce soit le réseau de métro et de bus ou encore les nouvelles lignes de tram qui viennent d’être inaugurées, tissent une toile sur la ville : des arrêts délimités où l’on va parce que l’on a quelque chose à y faire, tout le reste n’est que points de passage. Et tous nos déplacements y sont fichés par les puces RFID contenues dans les pass’ navigo.
L’importance des transports est encore plus visible quand ils sont perturbés, par la neige, la grève ou un sabotage : retards, chaos, désordre, rupture avec la routine.
15h15, à l’angle de deux rues dans le XXème arrondissement. Une nouvelle caméra de vidéo-surveillance est en train d’être installée. Elle fait partie du plan de plus de 1000 caméras de la ville de Paris et qui, ajoutées au 10000 du réseau RATP/SNCF et à celles de sociétés privées, banques et magasins, quadrillent toute la ville. Des centres de vidéo-surveillance ont été mis en place dans plusieurs commissariats, où les images sont regardées 24h/24.
Elles sont un moyen de surveillance supplémentaire, traquent nos vies et nos corps dans les moindres détails. De nombreuses villes adoptent un réseau de vidéo-surveillance de plus en plus sophistiqué : rotation à 360°, zoom, infrarouge, détection de comportements suspects (par exemple des attroupements), reconnaissance faciale…
17h30, quartier Bas-Montreuil/Bagnolet. Des huissiers viennent de saisir une famille et de les expulser de leur logement car ils ne payaient plus leur loyer depuis des mois et que leurs crédits à la banque se sont accumulés. Ici, comme dans d’autres quartiers pauvres de proche banlieue, les loyers ne font qu’augmenter et les agences immobilières poussent comme des champignons. C’est un quartier en plein changement d’après la mairie et les promoteurs : ils appellent ça la rénovation urbaine ou la restructuration, prétendent “améliorer la qualité de vie”. Aussi les préfectures et les mairies ont déclaré la guerre aux logements insalubres et aux squats, pour expulser les habitant-e-s qui sont repoussé-e-s toujours plus loin des centres-villes et détruire des bâtiments pour en reconstruire des plus beaux, plus écologiques, pour des gens qui ont plus de thunes.
Cette logique, à l’œuvre depuis des années à Paris, se poursuit et s’étend avec le projet mégalo du “Grand Paris” : hausse des loyers, expulsions, promotion de l’accession à la propriété, construction d’immeubles standing de luxe, logements sociaux très chers pour riches, ouverture de lieux culturels branchés pour bobos, transformation du mobilier urbain en repoussoir anti-SDF, boutiques de mode à prix chic, etc.
Agents immobiliers, promoteurs du BTP, urbanistes et politiciens de tout bord aménagent des espaces civilisés, où les bobos et bourgeois se sentent à l’aise et en sécurité, menant ainsi la guerre aux pauvres. Ces opérations de rénovation leur rapporte de l’argent : spéculation, pots-de-vin.
L’aménagement de l’espace urbain et le contrôle renforcé en disent long sur le monde qu’est en train de construire le pouvoir : un grand enfermement à ciel ouvert, où chaque espace est surveillé, où chaque déplacement est sous contrôle, où chacun-e est à la place qui lui est assignée. Des transports aux caméras, des flics aux métropoles, ça ressemble à une grande prison. Sans ses quatre murs oppressants, la promiscuité forcée, les matons et verrous qui règlent le quotidien, mais où les caméras font penser aux miradors, les quelques m² où l’on vit à des cellules et les frontières tracées entre nous à des barbelés.
Le jeu politique construit l’autre comme l’ennemi, l’indésirable et veut nous faire croire que si c’est la merde c’est la faute du voisin, de celui ou celle qui n’a pas la même couleur de peau, de celui ou celle qui ne fait pas partie de la “communauté”, qu’elle soit “ethnique”, religieuse ou de territoire.
Mais à l’inverse de la guerre de tou-te-s contre tou-te-s et du chacun-e pour soi, ici et là, des gestes du quotidien au sabotage, des actes de résistance s’en prennent à ce monde : de l’ouverture d’un squat à la débrouille, de l’entraide et de la solidarité à la résistance à un contrôle de police, de la destruction de caméras de surveillance au fait de se prévenir de la présence des contrôleurs dans le métro.
Chaque perturbation, peu importe son ampleur, a des effets immédiats sur cette routine quotidienne qui, clairement, est celle du travail, de l’économie, du contrôle et du pouvoir. S’attaquer à ce quotidien c’est apporter sa pierre à la destruction de la domination et de l’exploitation, c’est s’ouvrir des espaces de liberté par la révolte. Soyons incontrôlables…
Sabotons le tram-tram quotidien ! Le jour de l’inauguration de la nouvelle ligne T3 du tramway parisien, aux alentours de midi, des chaussettes remplies de riz ou de sable se sont retrouvées enroulées aux caténaires. Des tracts volants sont aussi apparus à divers endroits sur le boulevard. L’efficacité de cette technique n’étant pas avérée, à chacun-e de faire preuve d’imagination la prochaine fois.
publié dans le n°1